La biographie d'Héloïse, basée, comme celle d'Abélard, sans recoupements sur une hypothèse de cohérence entre de rares manuscrits parfois disparus, reste, hormis les points essentiels établis par Abélard lui-même, sujette à révision.
Anarchie]], le début de la répression contre le catharisme puis la catastrophique deuxième croisade, c'est la période au cours de laquelle sont découverts les textes de la Logica nova.
Saint-Denis]], fonds Royal, cote 16 G VI, f. 271, British Library, Londres.,, exemple royal donné jusqu'aux dix ans d'Héloïse d'une éthique amoureuse que la réforme grégorienne abolira. Héloïse est la fille illégitime d'un noble occupant une position sociale des plus élevées, allié des Montmorency. Il n'est pas improbable que son père soit le sénéchal de France Gilbert de Garlande dit Païen, frère d'Étienne de Garlande, lequel a été dénoncé comme un « libertin » avant l'heure par son détracteur Yves de Chartres, ou bien un certain Jean, fils d'un membre de la suite de la Dame de Montlhéry, Hodierne de Gometz, devenu prêtre avant 1096 et fait chanoine de Saint-Germain-l'Auxerrois. L'enfant grandit parmi d'autres demoiselles auprès des bénédictines d'Argenteuil, qui lui enseignent à partir de ses sept ans la lecture puis la grammaire.
Sa mère, prénommée Hersende, est peut-être celle qui a fondé entre 1101 et 1115 Fontevrault, orpheline élevée par ses frères issus d'une puissante famille angevine et devenue par son second mariage {{Lien}}{{,}}, veuve dès 1086 entrée dans les ordres avant 1096, ou une moniale du même nom, mais qui est peut-être la même personne, chassée en 1107 du couvent de Saint-Éloi, après que l'évêque Galon et l'archidiacre Guillaume de Champeaux, champions de la réforme grégorienne, l'ont dénoncé comme une « caverne de fornication ».
Cette mère confie la suite de l'éducation de l'adolescente à l'un de ses deux frères, Fulbert. Celui ci, depuis au moins 1102, exerce au sein de l'Hôpital des Pauvres, une charge de sous-diacre « extra muros » c'est-à-dire à l'extérieur du Cloître. C'est une charge probablement obtenue grâce à deux alliés de la famille, le feu suffragant Guillaume de Montfort, et la demi sœur de celui-ci, la reine illégitime Bertrade, retirée depuis 1104 à Fontevrault.
Héloïse poursuit ainsi sa jeunesse vraisemblablement au presbytère de la chapelle Saint-Christophe, qui appartient aux Montfort. Sa condition d'aristocrate sans biens propres, sans héritage, la destine au mariage, un mariage sans dot, donc à un veuf ou un noble que la famille aurait des raisons de vouloir marier à tout prix. Elle n'aura de cesse de travailler à échapper à cette condition.
Cet oncle d'Héloïse, qui a pu être un secours au moment où sa sœur mettait au monde sa nièce, introduit celle-ci au trivium et la pousse dans le cursus des arts libéraux au moment où le corps le plus conservateur de l'enseignement se retire du monde pour fonder autour de Guillaume de Champeaux l'abbaye savante Saint Victor. Resté bien en cour après l'avènement de Louis le Gros, qui succède à son père le roi Philippe en 1108, Fulbert est un homme avide de charges et des revenus attenants. Il a fréquenté Baudri de Bourgueil, qui est un lettré versé dans la poésie latine, initiateur avec Marbode de la Renaissance angevine et précurseur de l'humanisme. C'est chez Baudri, inventeur de ce genre littéraire inspiré par les Héroïdes d'Ovide, qu'Héloïse trouvera l'idée de correspondance amoureuse.
{{article connexe}} Cloître]] de Paris ne s'appelait pas encore Notre Dame. En tant que chanoine membre du chapitre cathédral de Saint Étienne, le tuteur d'Héloïse prend en pension, sous le même toit que sa filleule, l'écolâtre de l'école cathédrale du Cloître de Paris, Abélard, qu'il soutient depuis de nombreuses années dans sa démarche moderniste. Abélard, qui a quitté son poste de Corbeil en 1107 pour prendre une année sabbatique au Pallet et enseigne depuis 1110 à Sainte Geneviève du Mont où, depuis Melun, l'a appelé Etienne de Garlande quand celui-ci en a été nommé doyen, est promu à ce poste dans l'île de la Cité une seconde fois en 1113, après en avoir été évincé en 1109 par son ancien maître et désormais ennemi Guillaume de Champeaux. Cette nomination rehausse le prestige de l'école parisienne face à celle des disciples d'Anselme de Laon, Albéric de Reims et Lotulphe de Lombardie, les rivaux d'Abélard dans la querelle des universaux.
Si la beauté solaire de la jeune femme n'est pas exceptionnelle sans être des moindres, ne serait ce que par sa haute stature{{,}}, son rang, son engagement dans des études, chose inouïe pour une femme, plus encore son audace de les consacrer à un domaine non religieux lui valent d'être une des personnalités les plus en vue de Paris. Son intelligence et ses connaissances en latin, grec et hébreu, spécialement celle des auteurs antiques, encore ignorés de l'enseignement officiel, étonnent. Ses chansons reprises par les goliards en font la figure féminine d'une jeunesse étudiante qui s'émancipe, à l'instar d'Abélard lui-même, de sa condition familiale et féodale et obtiendra à force de grèves quatre-vingt-six ans plus tard le statut de clerc, le for ecclésiastique à l'origine de l'Université.
Abélard, célibataire célèbre pour sa beauté et reconnu par ses pairs comme le plus éminent des enseignants de la dialectique, cherche à devenir son professeur particulier dans le but calculé de la séduire. Parvenu à trente-quatre ans au sommet de sa gloire, il est le fils aîné d'un chevalier poitevin qui s'attacha à la cour du comte Matthias et du duc souverain de Bretagne Alain Fergent et qui devint baillistre de la seigneurie du Pallet en en épousant l'héritière. Adulé par la foule qui s'amasse sur son passage et adoré comme leur chevalier par les femmes quand elles se retrouvent entre elles, enrichi par les honoraires que lui versent les familles aristocratiques de ses étudiants (quelques dizaines par an) et ruiné pour plusieurs femmes, il se décrit comme un séducteur sûr de son charme mais accablé par le travail, les voyages à cheval et les querelles de pouvoir, que le surmenage a déjà conduit onze ans plus tôt à une dépression nerveuse (« afflictione correptus infirmitate coactus ») et qui va connaître une aventure enchanteresse évoquée par lui-même à maintes reprises comme une expérience sentimentale déstabilisante.
Les Amours d'Héloïse et d'Abélard par Jean Vignaud (1819). Tel un trouvère de la cour du duc Guillaume IX d'Aquitaine qui semble avoir tant influencé son père, il commence par faire de sa fredaine des chansons en latin, manière de délassement devenue son habitude, dont les mélodies séduisent jusqu'aux plus illettrés et deviennent les succès de la mode populaire du moment à travers tout l'Occident. Il y célèbre le nom d'Héloïse, créant la légende avant même l'histoire. {{Citation}}.
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{{article connexe}} mode]], qui n'ont pas toujours la silhouette de jeunes filles, recouvrent leur cottes hardie d'un bliaud inspiré par l'Orient.. Tout Paris chante déjà Héloïse, jalousée des femmes, quand à l'automne 1114, Abélard initie avec elle, sous prétexte de leçons, une correspondance, moyen de séduction préféré à la seule conversation, aussi savante que galante. Les tablettes de cire retournées par le professeur, après qu'il y a ajouté sa réponse, sont recopiées par Héloïse, peut-être déjà avec une arrière-pensée éditoriale de ce qui est devenu les Lettres des deux amants. Les formules de salutations, détournées par jeu de leur seule fonction, sont l'occasion pour l'élève, au-delà du témoignage d'affection conventionnel, d'un exercice rhétorique et d'une innovation littéraire pleine d'esprit mêlant les allusions intimes aux références théologiques.
Clinicienne, Héloïse fait au cours de ces échanges l'analyse de son désir amoureux. Sublimant à travers l'être aimé l'avilissement de la concupiscence, le désir se transcende dans son exercice libre de nécessaire pécheur comme expression, plutôt que comme action, de la Grâce accordée par le Paraclet. Si la foi se vit à travers l'image du Christ qu'est l'homme aimé, c'est sans l'hypocrisie de renoncer à sa condition de femme désirante, de pécheresse, qu'Héloïse entend le faire, illustrant ainsi le thème évangélique de « se perdre pour se retrouver » tel que le formulera Thérèse d'Avila et le diffusera le quiétisme. Ce faisant, elle met en application, ou détourne dans l'alcôve la conception de responsabilité morale et juridique que développera ultérieurement Abélard selon laquelle les actes les plus coupables ne le sont pas si l'intention n'y est pas. Il n'y aurait pas de faute morale à tomber dans la luxure quand c'est par un effet de l'amour et non par perversité. « Morale du couple » plus que du seul moraliste à l'origine du droit moderne qu'est Abélard, cette invention, qui est celle de l'amour libre c'est-à-dire d'un amour afranchi des règles de la société et du mariage, fera florès et peut être mise, au moins par son inspiration amoureuse, au crédit d'Héloïse.
Plus qu'une correspondance amoureuse, les Lettres des deux amants sont une correspondance sur l'amour. Elle est en effet l'occasion pour Héloïse d'inventer sous le terme emprunté à Tertullien de « dilectio », au sens d'estime, une forme d'amour intellectuel. Elle le définit brièvement comme une aliénation entre semblables, une soumission volontaire (« in omnibus obire »){{,}} en réponse à l'amitié reçue. L'amour se distingue toutefois de l'amitié telle que la définit Cicéron entre personnes du même sexe, c'est-à-dire que s'y assume la différence des sexes. Semblables et singuliers, hommes et femmes ne sont pas identiques. Héloïse applique là à la question de la nature de l'amour une autre leçon de son maître, une leçon de logique tranchée lors de la querelle des universaux sur la différence entre le genre et l'espèce.
Cette conception « avant gardiste », post aristotélicienne du désir, tout d'une pièce intellectuel et sexuel, cette philosophie du sujet, responsable de ses désirs plutôt que de son comportement, sera déclinée, sinon affadie, six siècles et demi plus tard par les Précieuses sous l'allégorie de Tendre sur Estime, accomplissement de l'amour parfait. La définition que donne Héloïse de l'amour est triplement révolutionnaire, premièrement parce que c'est une femme qui s'exprime sur le sujet, deuxièmement parce qu'en faisant fi des élucubrations philosophiques masculines antérieures que lui expose son amant et qui la dépassent, elle prétend l'affirmer concrètement (« Dilectio (...) ex ipsius experimento rei »){{,}} à partir de son expérience personnelle (« naturali intuitu ego quoque perspiciens »){{,}}, troisièmement parce que, la différence des sexes se traduisant par des amours différents, elle affirme une spécificité de l'amour féminin. Inversement, Abélard lui confessera dix-huit ans plus tard, au milieu d'un discours plein de bondieuseries, que l'amour spécifiquement masculin, le sien du moins, ne consiste, en tant que tel, en rien d'autre qu'une concupiscence la plus brutale.
{{article connexe}} Adelard of Bath]]: the first English scientist, {{p.}}, British Museum Press, Londres, 1994.. Entre l'élève et son professeur de treize ans son aîné, s'engage une liaison transgressive, enflammée mais inconstante, d'où la violence n'est pas exclue : « que de fois n'ai-je pas usé de menaces et de coups pour forcer ton consentement ? ». Les nuits de passion épuisent et entraînent les deux intellectuels jusqu'à des excès sadomasochistes : « j'allais parfois jusqu'à la frapper, coups donnés par amour, (…) par tendresse, (...) et ces coups dépassaient en douceur tous les baumes. (...) tout ce que la passion peut imaginer de raffinement insolite, nous l'avons ajouté. ».
La liaison adultère, découverte, semble-t-il, au début de l'année 1116, tourne au vaudeville. Fulbert renvoie son pensionnaire, attisant la flamme des corps séparés. Le professeur est alors surpris une nuit en flagrant délit, au milieu des ébats du couple, et la jeune fille est éloignée à son tour. À son retour, « Une fois la honte passée, la passion ôta toute pudeur » et Héloïse tombe enceinte peu après.
Paraclet]]. Pour la soustraire aux autorités françaises, son amant organise son enlèvement, lui fournit un déguisement de nonne, l'emmène un jour que son oncle est absent et la conduit jusque dans sa patrie, au Pallet. C'est la garnison au sud de la Loire qui garde Nantes face à la France. Elle est tenue par le cadet d'Abélard depuis quatre ans que leur père Bérenger s'est retiré avec le roi Fergent à Redon. Pour prévenir une possible riposte, les fugitifs sont mis sous escorte.
À l'automne 1116, Héloïse accouche chez la sœur d'Abélard, Denyse, d'un fils auquel elle donne le prénom non chrétien d'Astralabe, c'est-à-dire, en français moderne, Astrolabe, sous-entendu « Puer Dei I », soit « premier fils de Dieu », d'après l'anagramme ésotérique ainsi formé de Petrus Abaelardus II{{,}}. L'astrolabe n'était à l'époque que d'un usage astrologique. L'enfant, qui sera baptisé sous le patronage de Pierre, est confié, non sans déchirements, à Denyse, à laquelle Héloïse restera attachée puisqu'elles termineront leurs jours ensemble à l'abbaye du Paraclet.
Abélard]]. Abélard retourne seul à Paris négocier le pardon de Fulbert, lequel obtient une promesse de mariage sans qu'Héloïse, restée au Pallet, n'ait été consultée. Fille mère, celle-ci se voit un destin de courtisane dans un Paris qui invente, à l'occasion d'un boom économique et démographique, la mode et les salons mondains et qui offre aux femmes la tentation d'une condition nouvelle échappant à la réclusion ménagère, mais, au père de son enfant revenu la chercher, elle finit par céder, {{citation}}
Dans les semaines suivantes, le mariage est prononcé à Paris devant témoins mais à l'aube, secrètement, pour ne pas compromettre les chances du mari d'obtenir un canonicat qui exigerait le célibat, chose alors en débat qui ne sera tranché qu'au concile de Latran de 1139 mais dont ils sont pour l'heure l'exemple le plus scandaleux. Il a fallu trouver un prêtre conciliant et discret. La cérémonie a pu se faire aussi bien à la chapelle Saint Christophe, chez l'oncle maternelle, qu'à la chapelle Saint Aignan, érigée un an plus tôt par l'hypothétique oncle paternel Etienne de Garlande dans l'hôtel que celui-ci possède dans le Cloître de Paris.
Au-delà de ce calcul carriériste, Héloïse, opposée à son mariage parce que se jugeant à la fois une personne indigne de son époux et une entrave à son destin d'enseignant réformateur, fait de la dénégation de sa condition d'épouse une question éthique. Pour elle, le mariage est une prostitution de la femme, un intéressement matériel de l'épouse à une condition sociale toute masculine, qui peut convenir à celle qui « si l'occasion s'en présentait, se prostituerait certainement à un plus riche encore », mais pas à une femme véritablement amoureuse de la personne elle-même. Préfigurant les jugements des Cours d'amour qui définiront la fine amor comme un amour platonique mais libre, nécessairement hors mariage, voire impossible, elle aurait voulu, nonobstant la décision de son maître, rester « douce amie ».
Réminiscence des paroles du Christ, elle pousse son hardiesse autant que son humiliation jusqu'au sacrifice moral en précisant « Le nom d'épouse paraît plus sacré (..). J'aurais voulu, au risque de te choquer, celui de concubine et de putain, dans l'idée que plus je me ferais humble sous ton regard, plus je m'attacherais de titres à obtenir tes grâces (…) », et en insistant « (...) il m'aurait paru plus souhaitable et plus digne d'être ta courtisane plutôt que l'impératrice [d'Auguste] ».
Pour Fulbert, l'honneur familial est réparé par le mariage. Aussi trahit-il la convention passée avec son quasi gendre et rend ce mariage public, alors qu'Héloïse s'obstine à le nier en public comme en privé. Si elle agit ainsi, c'est parce qu'elle se soucie de préserver le secret qui protège la carrière de son mari mais aussi parce qu'elle n'a pas renoncé à une vie de femme libre. Son projet reste clairement que l'amour seul demeure, par delà les obligations conjugales, une attache entre époux et que chacun d'eux conduise sa vie professionnelle comme il l'entend. L'oncle ne supporte pas ce qui est une insoumission à l'ordre familial et une subversion de l'institution sociale qu'est le mariage.
Il bat sa nièce ingrate à chaque marque d'obstination, méthode d'éducation tout à fait ordinaire à l'époque, du moins pour les garçons. Pour se soustraire aux coups, celle-ci, désormais émancipée par son mariage de la tutelle de son oncle mais ne pouvant pas s'installer en ménage avec son mari sans révéler au public le secret, retourne comme pensionnaire au couvent très mondain de Sainte Marie d'Argenteuil. Plus que jamais, les apparences cachent le plus scabreux. Abélard n'hésite pas à sauter le mur du couvent et les amants et époux n'ont de cesse, jusqu'à forniquer dans un coin du réfectoire.
L'oncle se croit trahi une seconde fois par un Abélard qui, jugeant paternité et travail d'écriture incompatibles dans un foyer qui ne disposerait pas de domesticité et d'espace suffisant, rechigne à devenir un « âne domestique ». Il voit le roué abandonner tout projet familial et se débarrasser d'une épouse en l'obligeant à entrer dans les ordres. En août 1117, il le fait châtrer, châtiment habituellement réservé aux violeurs, par des hommes de main, qui ont soudoyé le valet de la victime.
Dès le lendemain matin, la foule afflue vers les lieux du crime. Les bourgeois de Paris, estimant l'honneur de leur ville en cause, peut être moins par la blessure infligée à un écolâtre que par l'injure faite au second personnage de l'état qu'est le Chancelier Etienne de Garlande en s'attaquant à un de ses proches, saisissent le suffragant Girbert, dont relève le chanoine. L'évêque juge que le préjudice n'est pas seulement physique mais que ce qui est lésé, c'est la notoriété d'Abélard, privé de voir son public sans éprouver de honte. Aussi le tribunal épiscopal condamne-t il, selon la loi du talion, le valet et l'un des exécutants à la castration mais aussi à l'énucléation. Les autres complices n'ont pu être arrêtés. Fulbert est démis de son canonicat, ses biens sont confisqués. Le vieillard ayant nié, un doute subsiste sur le mobile et les intentions du commanditaire. Aussi Abélard renonce-t il à faire appel mais il reçoit sans doute un dédommagement matériel pris sur les biens saisis, dont l'usage revient ainsi à son épouse.
Ermitage]]
peinte en 1780 par Angelica Kauffmann
pour illustrer l'édition d'Alexander Pope.
Au début de l'année suivante, son mari encore convalescent, Héloïse, accablée par la culpabilité, prend le voile en grande pompe des mains de l'évêque de Paris Girbert lui-même. La cérémonie est donc d'importance mais c'est contre son gré qu'elle s'y plie, uniquement par obéissance à Abélard, qui entrera à son tour dans les ordres, à Saint Denis, trois lieues en amont sur la Seine, mais seulement après s'être assuré qu'elle l'ait fait elle-même. Elle lui reprochera amèrement ce manque de confiance dans sa soumission. Cette prise de voile, le mariage n'étant plus secret, ouvre de nouveau à Abélard la perspective de continuer dans les ordres sa carrière, qui visiblement seule importe, et c'est donc bien à celle-ci qu'Héloïse se sacrifie.
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Plainte de Cornélie récitée par Héloïse montant à l'autel pour prononcer ses vœux. |
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Héloïse embrassant la vie monastique fantasmée en 1812 par Jean-Antoine Laurent. Un ou deux ans plus tard, Abélard, en guerre avec ses frères bénédictins aux « mœurs infâmes », est éloigné d'elle en même temps que d'eux, en obtenant la charge d'un prieuré qui appartient à l'abbaye mais qui est du ressort de la justice de son protecteur, le comte de Champagne Thibault, prieuré que la tradition identifie au prieuré Sainte Marguerite de Maisoncelles. Il y reprend un enseignement lucratif dont elle est ou pourrait être, en tant qu'épouse, bénéficiaire. Or cet enseignement dérange les prédicateurs populaires parce qu'il est une tentative, un siècle avant Thomas d'Aquin, de restaurer, en s'appuyant sur la philosophie antique d'Aristote, la théologie sous une forme chrétienne, de fonder la Foi non pas seulement sur la tradition mais aussi sur la science, de convertir à la doctrine moins par l'autorité du prédicateur que par le raisonnement individuel. Abélard s'en prend personnellement à un de ses détracteurs, son ancien maître Roscelin, qui est l'auteur de la théorie des universaux, et propose de le confondre publiquement.
C'est alors qu'il est accusé de troubler l'Église en mêlant condition monastique et condition maritale. C'est donc par Héloïse que les ennemis d'Abélard trouvent prise pour le discréditer, en l'accusant par voie de lettre ouverte d'entretenir sa femme avec les honoraires de son enseignement tout en restant moine. Héloïse est insultée et dénoncée tout en même temps comme une innocente victime et une fille de joie. Roscelin va jusqu'à reprocher au professeur son sceau, qui le représente formant un seul corps avec sa femme. En 1121, c'est le grave échec du Concile de Soissons. Abélard est condamné sans débat pour sabellianisme à livrer lui-même sur le champ un exemplaire de sa Théologie du souverain bien, « traité de l'unité et de la trinité divines », à un autodafé. L'ouvrage serait contraire à l'article 20 du symbole de Sirmium de 351, et ce en dépit du fait qu'il est conforme au symbole de Nicée qui précise, sinon corrige, le précédent.
Les tribulations que doit endurer son mari ne rendent pas son amant à Héloïse et elle se sent trahie par sa prise de voile. Au bout d'une dizaine d'années de cette vie monastique frustrante menée sans vocation, elle devient prieure de son abbaye.
{{article connexe}} aristocrates]], ont probablement été accueillies dans les cabanes abandonnées deux ans plus tôt. En 1129, Héloïse est chassée sans ménagements de son monastère avec ses sœurs bénédictines par Suger, ennemi des Montmorency comme d'Abélard et nouvel abbé de Saint Denis qui souhaite élargir l'assiette de sa fondation et loger des frères sous ses ordres. Les filles trouvent refuge dans l'abbaye Notre-Dame d'Yerres auprès d'Eustachie, veuve de Baudoin Le Riche et Dame de Corbeil, que Suger vient de quitter pour son nouveau poste. Il s'agit donc d'un échange en même temps que d'une relégation qui fait suite à la défaveur des Montmorency et aux défaites qu'ont subies Hugues du Puiset et Milon de Montlhéry, malgré le soutien que leur avait apporté Thibault, le futur comte de Champagne, lui-même défait en 1118 à L'Aigle.
Abélard est entre temps retourné en Bretagne, où son frère Porchaire est un chanoine influent du chapitre de Nantes. Devenu abbé de Saint Gildas de Rhuys, il a ses introductions auprès du souverain, le Duc Conan le Gros, alors que la prieure Héloïse, en transit à Yerres, est dans l'alternative d'embrasser la condition de converse ou de se retrouver à la rue.
Il offre à celle qui se considère toujours comme son épouse, aussi bien que celle du Christ, de fonder une nouvelle abbaye au lieu d'un ermitage qu'il avait fait bâtir en 1122. C'est un petit bâtiment construit sur un terrain que le comte Thibault lui avait concédé deux ans après son intronisation, à Quincey en Champagne, au-dessus de Nogent, entre Provins et Troyes. De nombreux jeunes gens, y dressant un campement de cabanes, l'avaient rejoint pour réinventer une vie proche de la nature et suivre son enseignement, mais il les avait abandonnés en 1127, fuyant au Rhuys la menace d'une nouvelle condamnation par ses rivaux cisterciens et prémontrés.
Dépendant du même chapitre sénonais que préside le primat Henri le Sanglier et où siège Geoffroy de Lèves qui avait défendu Abélard au procès de Soissons, Héloïse s'y installe avec la moitié des sœurs d'Argenteuil. Le 28 novembre 1131, en plein schisme, l'évêque Hugues de Montaigu obtient pour son collègue Hatton du pape Innocent II le privilège qui agrée la fondation et qui fait d'Héloïse la prieure de l'« Oratoire de la Sainte Trinité ». Bien qu'en janvier de la même année le pape en déplacement avait reçu Abélard qualifié de « recteur des écoles excellentissimes ayant attiré les hommes de lettres de presque toute la latinité », le maniement abélardien du concept johannien de Paraclet, qualité générique commune aux trois personnes divines et non pas une de ces trois personnes, rend le terme grec trop polémique pour être dans un premier temps officiellement conservé.
Après une année d’extrême pauvreté, les dons sollicités par Abélard affluent enfin. Héloïse, s'étant sentie abandonnée de son amant, sort de ces trois dernières années « épuisée et chancelante » mais l'abbaye du Paraclet est un succès, qui se prolongera jusqu'à son aliénation en tant que bien national le 14 novembre 1792.
Abélard, âgé de cinquante quatre ans, abandonne définitivement le Rhuys en 1133, où ses frères ont tenté de l'assassiner. La correspondance en latin échangée dès 1132 entre la supérieure et son directeur, anciens amants de corps, est un monument de la littérature française. Au-delà de la mode carolingienne et compassée d'une prose rimée, les trois longues lettres d'Héloïse, toutes de finesse, annoncent déjà très nettement, par leur structure grammaticale logique et déjà française, le grand style hérité de Cicéron. L'auteur y mêle délicatement références et jeux de mots et se montre étonnement moderne tant par la profondeur de l'analyse psychologique que par la liberté du propos.
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État d'esprit d'une Héloïse qui n'a pas fait le deuil de son amour, décrit en vers quelques années plus tard par un Abélard lassé, pour s'en plaindre à son fils. |
Héloïse ne renie rien de son amour intellectuel (dilectio) pour un Abélard embarrassé, ni même de son péché de concupiscence. À moins de quarante ans, elle ne cesse de remuer les images rémanentes de leurs fantasmes vécus, jusque dans le rêve et même la prière éveillée. Non sans réticences à transgresser une apparence que les convenances commandent, elle fait de la sincérité de l'aveu un exercice de style réjouissant. Tout en regrettant de n'avoir pas été elle aussi castrée de l'organe du plaisir, elle dévoile complaisamment la culpabilité de la femme désirante que cache l'hypocrite religieuse.
Au-delà des questions intimes, cette correspondance témoigne d'une moraliste critique vis-à-vis d'une tradition confuse répétée sans compréhension et d'une dévotion de façade que cette ignorance conforte. Elle montre une prieure qui s'efforce de rendre cohérente et complète la liturgie de son monastère. Pour ce faire, elle commande à son « bien aimé » un hymnaire dont il livrera en trois livrets cent trente pièces, paroles et musique, dont le mélancolique O Quanta Qualia. Elle fait ainsi du Paraclet le premier centre de musique sacrée de son temps.
Abélard ajoute vingt-huit sermons à lire pour vingt-huit saints anniversaires, jusqu'alors négligés. Parce qu'elle sait que ses amitiés rabbiniques lui donne un rare accès au texte original qu'abritent les synagogues de Troyes, Vitry, Ramerupt et Provins, Héloïse lui commande aussi pour l'édification de ses filles la première exégèse chrétienne de la Genèse depuis saint Jérôme, dont il fait une leçon simple, inspirée du commentaire de Rachi, pour une semaine liturgique.
Enfin, il produit un traité critique de catéchèse, les Problemata Heloissae ou Problèmes d'Héloïse, dans lequel il répond à quarante-deux difficultés soulevées par l'analyse exégétique que fait son élève des Écritures. À travers ce texte se lit non seulement un rare travail de collaboration intellectuelle ébauché dans les Lettres des deux amants mais aussi un point de vue nettement distinct de celui d'Abélard lui-même, celui d'une femme curieuse attachée à des réponses concrètes.
En 1135, dans le contexte du concile de Pise, Héloïse est la seconde femme, vingt ans après Pétronille de Chemillé, à recevoir le titre d'abbesse.
En 1136, Héloïse prend seule la direction du Paraclet. Abélard est appelé par le chancelier Étienne de Garlande, dont Suger avait obtenu la disgrâce en 1127 et qui vient de retrouver son titre de doyen l'abbaye Sainte Geneviève, pour y reprendre l'enseignement qu'il y avait initié en 1110, trois ans avant sa rencontre avec Héloïse. Celle-ci a la joie d'apprendre que son fils Astralabe termine avec succès le cursus des arts libéraux qu'il poursuit sous la houlette de son oncle paternel Porchaire à Nantes.
Héloïse, quatre-vingts ans avant sainte Claire, se soucie d'une règle monastique spécifiquement féminine, la règle de saint Benoît suivie par Sainte Ecolasse n'ayant été écrite que pour des hommes{{,}}. Compliquée par celle du célibat et celle de la place de l'épouse dont le mari est devenu prêtre, la question du rôle historique des femmes auprès de Jésus, des Évangélistes et des saints n'a pas été évitée par les Pères mais reste négligée et le restera jusqu'à ce que le dogme de l'Immaculée Conception l'occulte complètement. Sans la trancher, Abélard répond depuis le collège Sainte Geneviève aux interrogations d'Héloïse et lui édicte les principes qui doivent régir un monastère de femmes.
J. B. Mallet]], Héloïse à l’abbaye du Paraclet, Huile sur toile, 27 x 22 cm., Musée Fragonard, Grasse.. En réalité, l'abbesse était une redoutable femme d'affaires de plus de quarante ans. Sa règle s'inspire de celles de Cîteaux et d'Arbrissel mais prends arguments non seulement de l'autorité des Évangiles et des Pères de l'Église mais aussi du bon sens qui se trouve dans les sources antiques, hébraïques, grecques ou latines. Prônant la modération et non la rigueur, proscrivant le superflu mais pas le nécessaire, cette règle, en exigeant un engagement au-delà de l'apparence, érige la délation en système social. Si elle prévoit que les moines délivrent tous les services nécessaires aux sœurs, c'est au prix de l'assujettissement de celles-ci à un abbé et de leur contrôle par un prévôt épiscopal. En contrepartie, elles doivent se faire les couturières de leurs frères, leurs lingères, leurs boulangères et s'occuper de la basse-cour.
La réaction d'Héloïse a été conservée sous la forme des Institutiones nostrae, la règle de son abbaye du Paraclet, rédigée une fois Abélard décédé. Le « silence d'Héloïse » qui suit sa dernière lettre à Abélard et s'étend, à une exception près, sur trente ans c'est-à-dire jusqu'à la mort, est en soi parlant. Il suggère plutôt qu'une conversion effective, peu conforme à ce qu'elle a montré d'elle-même, une autocensure, sinon une censure posthume, qui est nécessairement intervenue à un certain degré si faible soit il, ne serait ce qu'au cours des corrections qui surviennent lors des copies.
Passée la question simpliste mais palpitante de l'authenticité des lettres, l'hypothèse a en effet été avancée à partir de l'étude de la construction du texte d'un premier recueil des documents de la prieure par ses soins, voire de leur révision par ceux d'Abélard dans un but d'édification par l'exemple d'une pécheresse ayant surmonté sa concupiscence. Ce qui est resté de leur correspondance serait le reliquat de ce travail éditorial initié de leur vivant, comme le prouve la grande unité du texte, dans le cadre de la définition et de l'exaltation de la règle de leur institut, puis annoté, peut-être expurgé voire légèrement remanié, ultérieurement par leurs successeurs clunisiens à l'occasion de réformes, comme celle confiée en 1237 à Guillaume d'Auvergne, auquel le Paraclet est donné comme modèle.
À travers les figures de pêcheurs repentis mais persécutés par les nouveaux pharisiens, la diffusion, de scriptorium en scriptorium, de cette œuvre de propagande pour le Paraclet a suffisamment de succès, jusqu'au-delà des frontières, pour inquiéter les zélateurs d'une réforme grégorienne qu'ils ne conçoivent pas reconnaitre la {{citation}} par lequel le Christ a choisi, selon l'exégèse d'Abélard, de passer pour se faire Christ. En 1139, Héloïse a à subir une inspection de Bernard de Clairvaux, qui dénonce le patenôtre et l'eucharistie tels qu'il sont pratiqués au Paraclet. Fondé sur le texte de l'Évangile, le rituel paraclétien contrevient à la tradition. Pour le parti d'une morale conservatrice, le modèle, c'est la femme mystique et non la femme savante, celle qui s'adonne à l'ascèse et non à l'exégèse, Hildegarde de Bingen, que Bernard de Clairvaux inspectera à son tour en 1141.
{{article connexe}} hérétiques d'Orléans]] ».
Le 26 mai 1140, les prises de position que professe Abélard, relativement aux effets de la Grâce et du Saint Esprit ou au péché, sont condamnées au concile de Sens. Répétition un siècle plus tard de l'affaire des hérétiques d'Orléans, c'est un procès sous influence organisé à l'occasion d'un déplacement du roi, où se joue, à travers la question de la place des clercs dans l'Église, le conflit{{,}} entre thibaldiens, protecteurs d'Héloïse et Abélard, et capétiens, dont la prééminence est alors loin d'être établie. Le traquenard est monté par des prédicateurs envieux et encombrés dans leurs œuvres évangéliques par des arguments de raison repris et discutés jusque dans les villages les plus reculés, tant Abélard est lu. Son {{Lien}} par exemple cite les réponses contradictoires de la Bible et des Pères, sans oublier les avis divergeant des auteurs antiques, à cent cinquante sept questions, invitant chacun à chercher la vérité au-delà du texte apparent et à trouver en soi, c'est-à-dire par le Saint Esprit, une opinion.
L'accusateur Bernard de Clairvaux, pour lequel la foi n'est que dans le cœur et le Diable dans la raison, obtient secrètement, à force de vin servi aux juges réunis en banquet, affirment ses adversaires, une condamnation avant la fin des débats. L'argument de la sentence est la sauvegarde de la tradition. Clivant un peu plus l'Église comme le redoutait l'évêque de Chartres Geoffroi, le scandale est proportionnel à la notoriété de l'accusé, immense. Un de ses partis, comme il le fera lors des attaques contre Thomas d'Aquin et de la condamnation de Galilée, s'est insurgé contre celui du progrès de la raison dans la Foi.
C'est alors Héloïse que le condamné prend publiquement à témoin de sa bonne foi. Il écrit pour sa défense une profession de foi et c'est à elle qu'il l'adresse avant de la faire diffuser, en vain. Un rescrit signé du pape Innocent II, simple formalité de la Curie, confirme cette seconde condamnation d'Abélard le 18 juillet 1141.
Héloïse n'est pas impliquée directement mais les thèses condamnées, quant à l'exemple de l'innocence d'une femme qui pécherait par une intention amoureuse, sont celles-là mêmes qui ont présidé à la conception de l'« amour par estime » (dilectio) qu'elle exprimait vingt cinq ans plus tôt. Ce moralisme triomphant faisant d'Héloïse le suppôt d'un hérétique se diffusera en une tradition populaire colportée par les prédications et sermons, et perdurera dans la doctrine jusqu'au {{S-}}.
Abélard, malade, doit renoncer à porter en personne son appel à Rome et prend la retraite qu'on lui offre au prieuré de Saint-Marcel-lès-Chalons puis à la maison mère de Cluny. Pierre le Vénérable organise une réconciliation avec Bernard de Clairvaux et obtient le pardon du pape. Abélard aurait accepté de se dédire. C'est à Saint-Marcel, où il est retourné soigner ce qui est décrit comme une psore, qu'il meurt au printemps 1142. Les moines, peut-être jaloux d'une relique qui attirerait les faveurs des donateurs, ne préviennent pas la prieure du Paraclet.
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Nénie d'Abélard, cantate gnostique et peut-être polyphonique attribuée à une Héloïse{{,}} n'aspirant plus qu'à la mort. |
Héloïse saisit le comte de Champagne, Thibaut dont elle tient fief et qui avait donné refuge à Abélard à Provins en 1122, après la première condamnation de celui-ci. Le comte saisit à son tour le supérieur de la maison mère de Saint-Marcel. Pierre le Vénérable est depuis son adolescence un admirateur de la célèbre savante. Devenu abbé, il avait longtemps voulu la tenir dans la « prison délicieuse » de Marcigny-les-Nonnains, qui est un riche couvent de dames, veuves et orphelines, attaché directement à Cluny et se trouve ainsi sous sa seule direction.
société laïque]]. Au cours de l'année 1143, il prend l'initiative et contacte Héloïse. Elle obtient de son admirateur le transfert de la dépouille de son mari. Le corps est dérobé une nuit aux alentours de la Toussaint 1144 par une équipée conduite par le supérieur en personne et voyage clandestinement sous la garde de celui-ci depuis Saint Marcel jusqu'au Paraclet. Il est accueilli le 10 novembre dans la chapelle du Petit Moustier qui se dresse à l'écart de l'abbatiale. Conformément aux volontés d'Abélard d'être enterré au Paraclet, sa veuve a fait aménager devant l'autel un tombeau.
Reparti le lendemain pour Cluny, Pierre le Vénérable, souverain qui ne relève que de l'autorité du Pape, adresse de là à Héloïse un scellé par lequel il accorde à l'âme du défunt une indulgence plénière. Le parchemin restera exhibé au-dessus du tombeau comme c'est l'usage. En réponse, Héloïse acceptera que le Paraclet soit reçu dans l'ordre clunisien, affiliation qui ne sera actée par la Curie qu'en 1198 sous le pontificat d'Innocent III. {{clr}}
roi d'Angleterre]] quand celle-ci est devenue veuve. Dès lors, la règle cistercienne s'impose sans presque plus de réserves à l'abbesse. Cette reprise en main s'inscrit dans un processus de relégation des femmes hors des institutions savantes, amorcée dès 1120 par le deuxième concile du Latran et renforcée par l'instauration progressive de la règle du célibat des clercs voulue par la réforme grégorienne. Si les béguines résisteront quelque temps à cette exclusion, c'est une évolution sociale qui perdurera dans le dénigrement des Femmes savantes jusqu'à Marie Curie et cantonne dès la génération suivant celle d'Héloïse les femmes, telle Marie de France chantant le couple mythologique de Tristan et Iseult, à la langue profane et au registre de cour.
Héloïse toutefois, de loin la plus savante des femmes dans un temps où les plus favorisées d'entre elles doivent se contenter de jouer la musique, réussit à s'imposer comme un cas exceptionnel parmi les rares esprits qui dominent leur époque par leur sagesse, leur force et leur habileté à gérer une communauté religieuse. Renommée dès sa jeunesse pour ses compositions musicales et des chansons à succès, Héloïse est désormais sollicitée des princes pour son conseil et écoutée des ecclésiastiques.
En 1147, alors qu'Arnaud de Brescia, qui fut le dernier secrétaire d'Abailard, a instauré la république dans Rome insurgée, elle obtient du pape Eugène III une bulle d'exemption nullius dioecesis, lui conférant en tant qu'abbesse une autorité quasi épiscopale qui s'étend sur les cinq petits prieurés annexes qu'elle développe. Elle fonde avec la comtesse Mathilde, future grand-mère de Philippe Auguste et veuve en 1151, une filiale à La Pommeraie, où celle-ci se retire et est enterrée huit années plus tard.
En 1158, elle a à souffrir des tribulations de son fils Astralabe dans les suites de l'assassinat à Nantes du comte Geoffroi Pantagenêt. Il est plausible qu'elle ait reçu la consolation de sa visite alors qu'il s'acheminait vers son exil de Cherlieu.
Vingt et un ans après son mari et sept ans avant son fils, le dimanche 16 mai 1164, entourée de la toute jeune future prieure Mélisende et ses filles, elle meurt « de doctrine et religion très resplendissante » et son cercueil est inhumé sous celui d'Abélard, dernier acte de sa soumission.
Elle repose avec Abélard au cimetière du Père-Lachaise (division 7) depuis le 16 juin 1817. {{clr}}